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Entretien sur L'enfant du Saalum avec Solène Dardennes


Epoque


S D : Vous avez passé votre enfance à Fatick, Alors territoire des Serères animistes. C’était juste avant l’indépendance, dans les années 40-45.

Relations

FL : oui. Les relations entre autochtones et européens étaient plus complexes et nuancées que ce que l’on croit. Le manque d’eau, le climat, les maladies surtout induisaient une solidarité effective.

SD : la vie ne devait pas être facile !

FL : « Le coin est pourri » se plaint une native de Saint-Louis dans le livre. Saint-Louis au bord de l’Atlantique était favorisé. En outre ceux qui naissaient à saint Louis avaient la nationalité française.


Racisme


SD : Vous dites que les rapports étaient plus complexes qu’on ne croit. Le racisme est là néanmoins. Je lis un passage où on évoque le film King Kong : « Dans les bras d’un gorille velu, ça peut donner des idées non ? »

FL : Ah oui, « King Kong » ! On m’avait confiée à un boy qui m’a emmené voir ce film. Il y avait un cinéma en plein air. On était assis par terre, et comme public seulement des africains.

SD : Il n’y a pas que King Kong qui dénote le racisme ambiant. Les gardes-cercles sont féroces, il y a de la violence de part et d’autre.


Violence


FL : Le climat est là : la chaleur extrême activant l’hypothalamus.

SD : Agathe, le personnage féminin très présent dans l’ouvrage n’est pas raciste.

FL : En effet, mais les conditions de vie extrêmes pour une jeune femme, née à Bordeaux, dans un milieu protégé, aisé, ont pour effet des crises d’angoisse terrifiantes. Angoisse de mort : elle étouffe, se fait porter à la mission catholique pour se confesser et recevoir l’extrême onction.

SD : La violence, elle est aussi à l’école. Je pense à «  4 gaillards ». Il valait mieux être fort en calcul mental.

FL : Chez nous aussi les punitions corporelles existaient. Suffit de lire la Comtesse de Ségur : « Un bon petit diable ». 4 Gaillards était une façon de hiérarchiser les élèves. Il y avait ceux qui recevaient une correction et ceux qui la donnaient. Ceux qui tenaient le coup et ceux qui mouillaient leur culotte. En toute circonstance, mieux valait faire preuve de courage.


Magie 


SD : S’agissant de la magie, des envoûtements, il y a des passages féroces et qui ne manquent pas d’humour.

FL : La croyance aux envoûtements est toujours actuelle. Les marabouts ne chôment pas.

SD : Vous y croyez, vous, aux envoûtements ?

FL : Il y a des cas d’envoûtements caractérisés. Des techniques particulières très efficaces.

SD : N’y a-t-il pas une part de suggestion mise en œuvre par l’envoûteur ?

FL : Peut-être.

SD : Dans « L’enfant du Saalum » un homme qui doit être exécuté a suffisamment de pouvoir pour échapper à la sentence. Les gardes-cercles chargés de l’exécuter se débarrassent de leurs fusils et le commissaire venu à la rescousse a son arme qui s’enraye.

FL : Cet évènement a bien eu lieu. J’ai connu cet homme.

SD : Il était venu récolté le miel des abeilles logeant sous votre toit. Dans votre ouvrage les abeilles font partie de l’univers du merveilleux. Le merveilleux réel qui a été ignoré. « Le faux merveilleux a été remplacé par un merveilleux réel qui a été ignoré ».

FL : Oui, les abeilles sont très réelles.

SD : Il y a aussi cet oiseau qui orchestre et conduit le chant des autres oiseaux. Un oiseau capricieux, insaisissable, qui s’apparente à l’inspiration créative, je pense.

FL : Oui, il s’agit de la grue couronnée.

SD : Vous croyez à l’inspiration ?

FL : Au travail aussi, mais pas toujours. Amos Tutuola, l’auteur de « L’Ivrogne dans la brousse » a écrit un livre fabuleux qui est sorti comme ça, spontanément. Il y a un moment difficile pour l’écrivain, celui où il sait, devient un initié. Il doit ensuite retrouver la spontanéité, l’innocence première, se risquer.


L’écriture


SD : Votre ouvrage est celui d’un poète.

FL : Cela a pu en rebuter certains, les maisons d’éditions qui ont refusé mon livre ont sans doute pensé qu’il n’était pas commercial. Concernant l’écriture de mon roman, c’est la musicalité des mots, leur sonorité, le rythme des phrases qui m’ont guidé dans tous les ouvrages que j’ai écrits. Il est vrai que j’ai surtout publié des ouvrages de poésie.

Le merveilleux

SD : L’enfant du Saalum, c’est un conte de fée. Les hommes bleus du désert, l’Escale du Désert, autant de mots qui font rêver.

FL : Oui, où allaient-ils, ces hommes bleus ? Que faisaient-ils quand ils quittaient l’escale de Fatick ? Quand le vent de sable les emportait vers un ailleurs mystérieux. Il y a aussi le choix d’échapper au ghetto exotique. Cette image d’épinal à la sauce occidentale.

SD : Ils existent dans votre ouvrage les cocotiers. Il y a un perroquet, un singe, chacal, un sorcier…

FL : Oui, mais ils ne sont pas plus exotiques que les pins de François Mauriac.

SD : Je ne suis pas de cet avis. C’est quand même exotique.

Le patronyme

SD : Bongo Bey, le forgeron-féticheur explique à l’enfant du Saalum, surnommé « Oreille rouge » par les autochtones, que ce nom lui a été attribué pour éviter que les jaloux, les mauvais, lui jettent un sort.

FL : Le nom, le patronyme, est important, notamment pour définir la caste à laquelle vous appartenez. Ainsi, Samba Diaye, l’infirmier major, n’est pas noble. Si il appartenait à la noblesse, il aurait pour patronyme « N’Diaye ». Les « N’Diaye » sont les descendants du N’Dian, le premier souverain du Oualow. Les « Samba Diaye » reçoivent arbitrairement ce nom à la naissance. « Diaye » est le nom de sa tribu paternelle. Parfois un captif ou un griot prend ce nom pour faire honneur à un personnage qu’il respecte.

SD : Cela ne l’empêche pas d’être un séducteur redoutable. Il séduit même Agathe. A l’heure de la sieste, la guitare de Samba Diaye joue dans la chambre d’Agathe.

Sagesse Africaine

SD : Dans la belle préface qu’il a dédiée à votre ouvrage, le poète Sylvestre Clancier évoque la parole de Bongo Bey, le féticheur : « l’important n’est pas ce qui se trouve au bout du chemin, mais le chemin que l’on a parcouru pour y parvenir ».

FL : C’est ce que tout initié peut faire sien.

SD : Sylvestre Clancier citant votre ouvrage a écrit : « Afrique de mon enfance, fer rouge et imprimé dans la chair, à toi je dois ce que je suis, la rage d’être malgré tout ». Et lui ajoute : « Tout est là ».

Il me semble que c’est comme un cri rauque, venant de très loin, qu’illustre la photo de la page de garde, prise un jour de tornade. Un cri rauque venant de très loin et qui n’en finit pas. C’est un beau livre et malgré ou à cause des ombres, il ne peut laisser indifférent.

FL : C’est mon enfance, avec ses ombres en effet, oui mon enfance, et je n’en aurais pas d’autre.


Curiosités


SD : Qu’est-ce qu’un Sossé ?

FL : Ce sont des Mandingues, une ethnie qui représente environ 7% de la population du Sénégal. Ils sont débrouillards, intelligents, loyaux, courageux. Certains autochtones se définissent comme étant des Sossés alors qu’ils n’ont fait qu’adopter ce nom pour se décrire avec ces qualités.


SD : Comment nagent-ils ceux qui ont appris à nager seul ?

FL : Ils nagent la matelote. Les jambes en pinces à sucre, et un bras puis l’autre lancé le plus loin devant soi.


SD : A quel personnage aimeriez-vous vous identifier ?

FL : Au citronnier qui poussait près du puits. On arrachait ses branchages pour en faire des cure-dents, et il parvenait à ne pas crever, et même à fructifier.

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